Femme

 

 

                                                                                Femme                                              

 

       Un soir que je revenais de Moorea à Tahiti par le dernier ferry, comme je me tenais sur le pont supérieur arrière regardant défiler sur bâbord le quai des containeurs qu’on longe avant d’accoster, quai qu’éclairent la nuit de puissants projecteurs, je vis un jeune docker, torse nu, peau métisse, s’en aller vers la sortie, juste vêtu d’un jean bleu délavé, d’épaisses chaussures de protection délacées aux chevilles et d’un casque jaune de chantier. Mince, musclé, passant entre les empilements bariolés des containeurs, il allait d’ombres en lumières.

       Sans que je puisse savoir si elle s’était cachée pour l’attendre ou s’était simplement avancée à sa rencontre, de derrière l’un de ces empilements surgit une chinoise d’un âge plus mûr, à la silhouette élancée. Etonnamment, elle était vêtue d’un qipao rouge, longue robe des mandchoues de la dynastie Qing : boutonnières en forme de poisson, petit col cernant délicatement le cou pour en relever une finesse que soulignait le chignon élaboré qui la coiffait, manches serrées descendant aux poignets pour accentuer la minceur des membres et des attaches, long fourreau compressant en la dessinant sa silhouette un peu lourde aux hanches et aux seins, entravant ses chevilles et son allure mais fendu sur le côté de sorte que chaque pas dévoile, jusqu’à l’âme, la longueur de la jambe et une cuisse un peu charnue dont la nudité était une transgression des usages propres au port de cette robe. Des motifs dessinés d’un trait rouge plus clair, qu’on devinait plus qu’on ne les apercevait, soulignaient en l’accentuant le rouge plus sombre, étincelant et comme pailleté, du tissu. Un petit sac à main de cuir noir pendait à son épaule, retenu par une lanière dorée. Je crois qu'elle était chaussée de talons aiguilles noir.

        Comme elle s’avançait lentement vers lui, posant soigneusement chaque pied devant l'autre, démarche étudiée qui accentuait la rondeur de ses hanches et les faisant rouler, le docker ralentit le pas puis s’arrêta quand elle fut à le toucher. Elle posa doucement la paume de sa main sur le plat de son torse. Il se tint immobile. Elle se pressa alors contre lui qui semblait rester distant. Je n’ai pas vu la suite, il me fallait débarquer.

 

         A l’hexagramme de La Grâce dans le Livre des Mutations, il est écrit que quand le désir se tait, que la volonté entre en repos, l’univers alors se révèle. Toute beauté cependant, est-il ajouté, n’est qu’un moment d’exaltation passagère. La vie parfois est comme un film de John Woo à l’esthétique un rien trop appuyée.

                                                                                                                                 Eric DROUET, Moorea 2005.

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