Enfance et homoparentalité

 

                            Les enfants des couples homosexuels présentent-ils des risques spécifiques ?

 

                                                                                 I

 

             Le refus du mariage homosexuel et de l'homoparentalité est le plus souvent justifié par des prises de positions conservatrices ou réactionnaires.

         Ces idéologies traditionnalistes ont souvent pour substrat des croyances monothéistes. Ce qui, en démocratie laïque, devrait leur interdire d'intervenir dans le débat législatif puisque les laïcités démocratiques se caractérisent par une souveraineté résidant dans le peuple et non dans une supposée transcendance divine.

            Il existe toutefois des idéologies traditionnalistes se réclamant d'argumentaires laïques. Ainsi de celui développé par la philosophe Sylviane Agacinsky, laquelle justifie son conservatisme par le droit coutumier : " Dans une civilisation comme la nôtre, héritière du droit romain, le mariage a toujours été l'union légale d'un homme avec une femme (Sylviane Agacinsky. Le Monde, 21/06/2007). Appel à la coutume qui ne va pas, au demeurant, sans une évidente mauvaise foi : " La revendication du "mariage homosexuel" ou de "l'homoparentalité" n'a pu se formuler qu'à partir de la construction ou de la fiction de sujets de droit qui n'ont jamais existé : "les hétérosexuels" " (Sylviane Agacinsky. Idem). Mauvaise foi en effet car il va de soi que, dès lors que le mariage et l'adoption ne sont légalement réservés qu'à des couples hétérosexuels, l'hétérosexualité, quand bien même elle n'est pas mentionnée comme condition au mariage et à l'adoption, est implicitement la norme exigée des sujets du droit du mariage et de l'adoption.

          Ces idéologies conservatrices ou réactionnaires sont, en tant que telles, parfaitement respectables. Elles finissent toutefois par devenir carrément nauséabondes lorsque, voulant interdire l'homoparentalité, elles prennent en otages enfants et parents en les assommant d'arguments qui pourraient être terrifiants s'ils n'étaient qu'imbéciles : " Les conséquences sont très simples, c'est qu'on va créé des enfants qui sont des zombies " (Jacques Myard, député U.M.P., le 18 novembre 2012), " Vous êtes en train d'assassiner des enfants " (Philippe Cochet, député U. M. P., à la tribune de l'assemblée nationale le 19 avril 2013).

         Les arguments les plus pernicieux restent cependant ceux qui prétendent résulter d'une autorité prétendument rationnelle ou scientifique. Ainsi des affirmations prétendant que les enfants élevés par des couples homosexuels, présenteraient des risques spécifiques de troubles psychologiques. Ce que ne manquent malheureusement pas de faire certains psychanalystes au nom d'une psychanalyse mal comprise (voire totalement dévoyée chez un Tony Anatrella : prêtre se présentant comme psychanalyste, fort en vogue au Vatican). C'est ainsi que Christian Flavigny, directeur du département de psychanalyse de l'enfant l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, déclare : " L'enfant se demande d'où il vient et a besoin d'établir un scénario qui colle. Il sait bien que deux personnes de même sexe ne peuvent pas procréer. Une loi qui viendrait légaliser une filiation impossible serait une falsification. " Et, renchérit un certain Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre : " Quand vous ne pouvez pas penser vos origines, que vous vous dites que vous venez de quelque chose d'impossible, vous n'avez pas d'identité narcissique cohérente. Cela peut devenir extrêmement problématique." (citations extraites d'un article de Gaëlle Dupont dans Le Monde du 26/09/2012). On comprend qu'un couple homosexuel qui prendrait au sérieux de telles affirmations, renonce à adopter plutôt que de faire courir de tels risques à un enfant.

              Mais quels sont en réalité le sérieux, la rationnalité et la scientificité de ce type d'arguments ?

 

           Une génération au moins étant passée depuis les premières légalisations de l'homoparentalité, on a maintenant suffisamment de recul pour juger de ces supposés dangers. Essayons donc de les lister de façon rigoureuse ... non sans avoir conscience de l'aspect quelque peu ridicule du sérieux affiché par une telle procédure.

       Les enfants élevés par des couples homosexuels présentent-ils un taux statistique de troubles névrotiques significativement plus élevé que le taux statistique de troubles névrotiques présenté par les enfants qu'élèvent des couples hétérosexuels ? Précisons la question. Ces enfants présentent-ils un taux de troubles du comportements plus élevé ? Par exemple un taux plus élevé de suicides ou de tentatives de suicides, de conduites addictives, de conduites délictueuses, de condamnations pénales, de conduites accidentogènes, de troubles spécifiques des conduites sexuelles, etc. ? Aucune étude sérieuse ne l'atteste.

            Précisons : aucune étude sérieuse ne l'atteste dès lors qu'elle obéit à la norme scientifique exigeant que la variable étudiée (couple parental homosexuel versus couple parental hétérosexuel) soit isolée, toutes les autres variables étant par ailleurs égales. Il existe en effet un taux de suicides ou de tentatives de suicides plus élevé chez les jeunes homosexuels mais ce taux plus élevé est à mettre en relation avec la réprobation sociale que suscite l'homosexualité (ces enfants peuvent être chassés de chez leur parents, peuvent être humiliés ou ostracisés par leurs entourages, etc.). Autrement dit les conditions sociales entourant la variable étudiée ne sont pas égales. Dans les attendus ci-dessous, cette norme "toutes conditions égales par ailleurs" restera sous-entendue.

             Les enfants élevés par des couples homosexuels présentent-ils un taux statistique de maladies mentales significativement plus élevé que celui présenté par les enfants de couples hétérosexuels ? Un taux plus élevé de pathologies psychotiques ? Un nombre de journées d'hospitalisation psychiatrique plus élevé ? Un plus grand nombre des médicamentations prescrites dans les prises en charge thérapeutiques des pathologies psychiatriques ? Aucune étude sérieuse ne l'atteste.

            Ces enfants présentent-ils un taux statistique de troubles cognitifs significativement plus élevé que celui présenté par les enfants de couples hétérosexuels ? Un Quotient Intellectuel (Q. I.) significativement inférieur à la moyenne (à supposer au demeurant que le Q. I. pointe autre chose que des discriminations socio-culturelles) ? Présentent-ils un taux significativement plus élevé de pathologies cognitives de type dysharmonies cognitives, dyslexies, dyspraxies, dyscalculies ? Ou un taux significativement plus élevé d'illettrisme, de redoublements, etc. ? Des niveaux d'études, de diplômes et d'emploi inférieurs à la moyenne ? Aucune étude sérieuse ne l'atteste. 

     Devenus adultes, ces enfants présentent-ils un taux statistique de troubles sociaux ou psychosociaux significativement plus élevé que celui présenté par les enfants des couples hétérosexuels ? Un taux de chômage, de divorce, de condamnations pénales plus élevé ? Aucune étude sérieuse ne l'atteste.

               Présentent-ils un taux de maladie, toutes catégories confondues, supérieur à la moyenne générale ? Une espérance de vie inférieure ? Aucune étude sérieuse ne l'atteste.

          On pourrait continuer cette liste des marqueurs de risques (non sans que s'amplifie son ridicule à mesure qu'on avance dans son établissement tant les réponses sont évidentes) sans jamais rencontrer la moindre différence significative.

        

              Alors quand on parle des risques que pourraient subir les enfants des couples homosexuels, de quoi parle-t-on précisément ? De rien !

          Plus exactement, dans le meilleur des cas, on parle là de croyances sans fondement, de préjugés coutumiers, de fantasmes, de phobies quant aux homosexualités. Dans le pire des cas, des haines névrotiques, voire paranoïaques, que suscitent les homosexualités.

           Cela dit, la croyance selon laquelle les enfants élevés par des couples homosexuels présenteraient des risques spécifiques ou supérieurs à la moyenne, repose dans tous les cas sur un préjugé : le caractère intrinsèquement pathologique de l'homosexualité et donc des couples homosexuels. A ce préjugé s'ajoute un refus fondamental : le refus du sujet. Refus du sujet qui a pour corollaire une croyance dans le déterminisme stricte qu'engendreraient les structures et conditions familiales, les modèles éducatifs qu'elles proposent, les modalités éducatives qu'elles mettent en oeuvre.

 

                                                                                     II

        

              L'homosexualité est-elle pathologique et avec elle, les couples homosexuels ?

         Dans des conditions d'acceptation et de gestion sociales des relations et amours homosexuelles égales à l'acceptation et à la gestion sociales des relations et amours hétérosexuelles (cette égalité de traitement, rarement réalisée, est évidemment fondamentale pour éviter les pathologies secondairement induites par les discriminations sociales), dans des conditions sociales égales donc, à reprendre la liste ci-dessus des marqueurs de pathologies, on ne trouvera à nouveau, entre homosexuels et hétérosexuels, aucune différence significative qui pointerait l'existence de pathologies spécifiquement liées aux homosexualités. Que l'homosexualité exclusive soit un comportement statistiquement minoritaire (entre 6% et 7% de la population masculine, moins de 2% de la population féminine. Sources : Corrazé J., L'homosexualité, Paris, PUF, Que Sais-je, 2006) n'implique pas qu'elle soit un comportement médicalement, psychologiquement, psychiatriquement ou socialement pathologique. Ne confondons pas les deux sens possibles du mot "anormal" : ce qui est en dehors de la norme statistique (ainsi des homosexualités), ce qui est une pathologie.

          

               Le refus du sujet est quant à lui, un grand classique des névroses familiales. De quoi s'agit-il ?

         Depuis la fin du XVIIe siècle et tout particulièrement avec John Locke qui est à l'origine de la conception moderne du sujet (Locke J., An essay concerning Human Understanding, 1690), conception moderne ayant remplacé l'ancienne conception chrétienne qui identifiait le sujet à l'âme, on nomme "sujet" tout individu susceptible d'endosser ou de se voir imputer en conscience et en personne propre, la responsabilité de ses pensées, de ses dires et de ses actes " Telle que je l'entends, personne (...) est un terme juridique (a forensic term) appropriant les actes à leur valeur (appropriating actions and their merit) et qui ainsi désigne des sujets (agents) doués d'intelligence, en capacité de reconnaître une loi et d'éprouver bonheur et malheur." (Locke J., An essay ..., Livre II, Chapitre XXVII, 26. Traduction E. D.). Bref, le sujet c'est l'individu mais l'individu responsable. Le contraire étant évidemment le fou ou l'animal qui, irresponsables quant à leurs actes, ne peuvent donc être jugés. Pour mesurer la radicalité du changement induit par cette définition lockéenne du sujet, rappelons que jusqu'à la fin du XVIIe siècle, les animaux causant du tort aux humains (y compris les insectes dévastant des récoltes) ou ayant subis leurs assauts sexuels, sont sommés à comparaître par huissiers devant un tribunal, sont jugés (avec avocats de la défense !), condamnés puis exécutés spuvent après d'abominables tortures. Dans de tels procès, ce qui est en jeu est non pas l'évaluation judiciaire d'une responsabilité subjective mais la réparation du trouble causé à u ordre social qu'on suppose voulu par Dieu. Il s'agit de ravauder le tissu social en éliminant les agents du trouble, en fussent-ils ou non responsables. 

         Par la suite, "sujet" va s'enrichir d'une autre connotation, celle du self made man : l'homme qui s'est fait lui-même, l'homme auteur de sa vie, l'homme qui est, si je puis dire, à la fabrique de lui-même. Le concept de "sujet" va en venir ainsi à dénoter une fondamentale singularité dont témoigne son inimitabilité. Inimitable singularité que pointe la signature au bas de l'oeuvre, que protègent les condamnations frappant plagiaires, faussaires et fabricants de contre-façons et les destructions auxquelles sont vouées les imitations qu'ils produisent.

         Il va sans dire que la production d'une telle singularité va à l'encontre de tout détermination complète du sujet par des structures et institutions sociales, fussent-elles familiales. Cela ne signifie pas que la famille soit sans effet sur l'enfant. Ce serait d'autant plus ridicule de l'affirmer que comme toute structure ou institution, la famille produit d'inévitables car nécessaires aliénations (nécessaires car aucun nouveau-né ou citoyen ne survivrait, abandonné à ses seuls moyens). Nécessaires aliénations contre lesquelles se dresse l'inimitable originalité du sujet. Et il faut entendre "originalité" au sens littéral comme étant ce qui porte l'origine du sujet. Laquelle n'est donc pas dans son histoire, dans son passé, mais dans le présent de son désir

         Rappelons au passage que pour le psychologue comme pour le psychanalyste, la liberté est un concept totalement creux fabriqué par les cyniques à l'usage des gogos. Je veux dire à l'usage que les cyniques ont des gogos. En revanche existent des mouvements de désaliénation fondés sur cette inimitable originalité, ce qui est d'une éthique plus recherchée.

          Que le sujet se définisse comme inimitable originalité exclut donc, par définition, qu'il soit entièrement fabriqué et complètement formé par quelque déterminisme social que ce soit. Y compris donc par les déterminismes familiaux. Ceci bien entendu vaut donc, cette originalité étant le propre de tout sujet, aussi bien pour les enfants des couples hétérosexuels que pour ceux des couples homosexuels. Il n'y a là aucune différence fondamentale possible. Au regard de l'enfant idéal dont rêvent les couples, rêve que les névroses familiales s'entêtent à protéger en refusant à leurs rejetons les mouvements d'émancipation qu'ils dressent contre lui, au regard de ce rêve donc, enfants de couples homosexuels ou enfants de couples hétérosexuels sont également décevants.

 

         Il n'en reste pas moins une question : à quelle condition un tel sujet peut-il entrer en fonction ? A quelle condition, autrement dit, peut se produire l'inimitable originalité qui est sa substance et sa dynamique ?

          S'il ne peut y avoir d'aliénation sociale sans discours socialement normatif car structuré par l'autorisé et l'interdit, il va de soi qu'il ne peut y avoir alors de sujet, d'inimitable singularité donc, qu'à la condition (paradoxale, j'en conviens) d'un langage privé puisque, par définition, un tel idiolecte constitue une inimitable originalité.

            Ce langage privé existe : c'est l'inconscient.

 

      Que les couples homosexuels se rassurent donc : leurs enfants et adolescents seront tout aussi adorablement énervants que ceux élevés par des couples hétérosexuels.                          

                                                                                                                                      Eric DROUET. Mars 2014

Notes additionnelles : 

 1) Dans les citations ci-dessus, quand Christian Flavigny déclare : " L'enfant se demande d'où il vient et a besoin d'établir un scénario qui colle. Il sait bien que deux personnes de même sexe ne peuvent pas procréer. Une loi qui viendrait légaliser une filiation impossible serait une falsification. ", quand Pierre Lévy-Soussan ajoute : " Quand vous ne pouvez pas penser vos origines, que vous vous dites que vous venez de quelque chose d'impossible, vous n'avez pas d'identité narcissique cohérente. Cela peut devenir extrêmement problématique.", ce qui relève d'un argumentaire pseudo-psychanalytique dans ces deux affirmations est la confusion qu'elles entretiennent entre d'une part les fantasmes (le "scénario" de Flavigny) que construit un enfant pour soutenir sa position de sujet, fantasmes qui sont le matériau d'une psychanalyse, et d'autre part les réalités familiales qui l'entourent et le savoir de type scientifique qu'il vient à connaître. C'est d'ailleurs un fantasme fréquent chez les enfants, même élevés dans le plus normatif des couples hétérosexuels (avec des parents qui sont les géniteurs), que d'imaginer avoir été élevé par des parents qui l'ont enlevé à ses véritables parents.

 

 2) Les anglophones voulant prendre connaissance de résultats sérieux en matière d'études scientifiques différentielles sur le bien-être des enfants élevés par des couples homosexuels au regard de ceux élevés par des couples hétérosexuels, peuvent se diriger vers le site de l'American Sociological Association (asanet.org), cliquer sur " Research on sociology " et taper dans l'onglet de recherche les mots clés suivants : well being of children raised up by same-sex parents or by opposite-sex parents. Ou, plus simplement, suivre le lien ci-dessous :

http://www.asanet.org/documents/ASA/pdfs/12-144_307_Amicus_%20%28C_%20Gottlieb%29_ASA_Same-Sex_Marriage.pdf

 

     

 

 

 

       

Commentaires (2)

racape simone
  • 1. racape simone | 11/07/2015
Bravo Eric pour cet article clair, net et bien fait. J'ai apprécié....[
racape simone
  • 2. racape simone | 11/07/2015
Bravo Eric pour cet article clair, net et bien fait. J'ai apprécié....

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